Un entretien avec Benjamin Gross sur le Rav Kook, Information Juive

Un entretien avec Benjamin Gross
Benjamin Gross, professeur à l’université Bar Ilan en Israël , est considéré comme l’un des intellectuels juifs les plus importants aujourd’hui. Son œuvre s’inscrit dans une tentative de repenser le judaïsme à la lumière de la modernité. Dans un livre qu’il se prépare à publier dans quelques mois en France, il étudie le thème « politique et religion » dans la pensée du Rav Abraham Ytshak Hacohen Kook. Il cherche à comprendre notamment pourquoi le Rav Kook a consacré toute son énergie à renforcer le sionisme religieux et à approfondir les racines spirituelles du mouvement de renaissance nationale.
Le livre est constitué de la présentation, la traduction et du commentaire du texte que le Rav Kook consacre à « l’évolution des idées dans l’humanité et en Israël »
Le professeur Gross répond ici aux questions d’Information juive.
Qu’est-ce qui vous a amené à travailler sur une œuvre du Rav Kook?
Benjamin Gross : Bien que le Rav Abraham Ytshaq Kook puisse être considéré comme l’un des penseurs les plus originaux du judaïsme contemporain,ni ses ouvrages, ni des études le concernant, ne sont connus du public français. J’avais commencé à combler cette lacune en publiant une traduction commentée de son livre Orot haTeshuva ( Les lumières du retour, Albin Michel 1998), sur la repentance,spirituelle et religieuse, présentée dans la perspective des changements intervenus dans l’histoire juive et universelle au cours du siècle dernier.
Dans le même ordre d’idée, il m’a semblé utile de présenter au public français les réflexions que cet auteur a consacrées à l’explication des différentes étapes de l’histoire d’Israël depuis la formation du peuple jusqu’à nos jours, à partir du lien dialectique qu’il établit entre matière et esprit dans toute la réalité. Cette philosophie de l’histoire devrait permettre , me semble-t-il, de mieux comprendre la signification politique certes, mais aussi et surtout spirituelle, du mouvement sioniste , et de la renaissance de la nation juive sur sa terre. Face à la stigmatisation et à la délégitimation de l’État d’Israël, ce message s’impose aujourd’hui avec plus d’urgence que lors de sa rédaction.
Quelle est aujourd’hui l’actualité du Rav Kook?
B.G : Son enseignement continue à inspirer, dans des sens divers d’ailleurs, les démarches des partis du sionisme religieux. Les concepts d’exil et de rédemption, au cœur de sa doctrine, suscitent des discussions passionnées et donnent lieu à des engagements politiques sur le terrain.
Mais s’il est vrai, comme le souligne avec force et à juste titre Léo Strauss, que le théologico-politique est la grande affaire de notre temps, on peut affirmer que la contribution du Rav Kook à ce débat, revêt une importance capitale pour saisir, d’une part, les véritables enjeux de notre société et d’autre part, les rapports que l’histoire juive entretient, depuis toujours et aujourd’hui encore, avec l’histoire universelle.
Comment expliquez-vous qu’une partie non négligeable de son oeuvre reste, aujourd’hui encore non publiée?
B.G : Le Rav Kook s’est généralement abstenu de rédiger ses écrits d’une manière systématique. L’article que nous avons traduit et largement commenté en confrontant son contenu avec les thèses d’auteurs modernes de sociologie et de philosophie politique, présente de ce point de vue une notable exception. Il avait l’habitude de confier ses idées à de multiples notes plus ou moins longues, plus ou moins condensées, qui dissimulent souvent la signification conceptuelle et la cohérence des idées. Ces notes ont été réunies, classées et ordonnées suivant leurs propres tendances, par ses élèves et en particulier par le Rav hanazir, David Cohen et ultérieurement par son fils, le Rav Zwi Yehuda. Les idées du Rav Kook exprimées avant la création de l’État, furent considérées parfois, par la suite, par ses épigones, comme trop exigeantes, trop idéalistes, face aux réalités politiques des États-nations, face à la perpétuation du conflit avec les Aabes. Elles ont été interprétées afin d’être récupérées par l’idéologie. Les tenants de cette dernière, retiennent pour ce motif, paraît-il, une partie des écrits non encore publiés.
La suite dans le numéro de Juillet-Août 2011…